FAUT-IL PARDONNER?
Savoir s’il faut accorder le pardon est une question récurrente chez les victimes de toutes sortes. Il y a celles qui pensent que cette démarche pourrait les apaiser et d’autres qui s’y refusent absolument. Alors comment y voir clair ?
On trouve, dans la littérature énormément d’écrits sur ce sujet, pour ou contre. De même, il n’est pas rare que des proches des victimes, mais aussi parfois du bourreau, prêchent l’apaisement par le pardon. On peut peut-être soupçonner ces derniers de rechercher également leur propre tranquillité.
La question est de savoir si le pardon est une thérapeutique, et donc qui permet de se reconstruire, ou s’il s’agit d’une façon d’occulter un passé douloureux pour vivre mieux le présent. Par ailleurs, quelque soit le choix, je pardonne ou je ne pardonne pas, est-il réversible ? En d’autres termes : puis-je accorder mon pardon, ou bien puis-je le retirer, plus tard ?
Parmi les prosélytes du pardon on trouve bien sur les grandes religions, des philosophes de toute époque (mais ne sont-ils pas influencés par la religion?), des soignants, des conseilleurs de tout poil. Parmi les opposants au pardon on trouve des philosophes, des soignants, des conseilleurs de tout poil. Il est bien difficile de s’y retrouver au milieu de tous ces avis péremptoires. Est-ce que le vrai choix ne réside pas tout simplement dans ce que vous-même souhaitez ?
Plutôt que d’écouter les sirènes des uns et des autres, posez vous la bonne question : ai-je envie de pardonner ? Si la réponse est oui, il faut se demander pourquoi et qu’est-ce que je peux pardonner ?
Pourquoi pardonner ?
Pour tirer un trait sur une histoire douloureuse (mais est-ce efficace?), parce que mon agresseur a exprimé des regrets et a demandé le pardon (mais est-il sincère?), parce que je pense que tout individu (donc mon bourreau) a droit à une seconde chance (mais vous aussi!), parce que je ne peux pas vivre dans la haine (mais n’y a t-il pas d’autres solutions?), parce que j’espère, en faisant le premier pas, obtenir de l’autre des regrets, parce que je veux faire plaisir à ma famille que « mon histoire » fatigue, et bien d’autres raisons encore.
Le pardon peut revêtir plusieurs formes : il peut s’agir d’un pardon « sec », sans condition, quelle que soit le type d’agression, ses modalités, la souffrance qu’on ressent et la personnalité de l’agresseur. Il peut s’agir d’un pardon conditionnel accordé à celui qui le demande. Ainsi, Jankélévitch, qui pense que « le pardon est un acte surnaturel », admet qu’il y a un prérequis au pardon : la mauvaise conscience de l’auteur et, de fait, qu’il ne peut y avoir pardon sans qu’il y ait une demande. Par ailleurs, peut-on pardonner à quelqu’un qui prend du plaisir à faire mal (un pervers) ?
Clairement, le pardon n’a d’intérêt que s’il vous apporte à vous, et seulement à vous, les outils et les matériaux qui vont vous permettre de vous reconstruire et de ne plus souffrir.
Selon André Comte-Sponville « Pardonner, ce n’est ni oublier, ni effacer ; c’est renoncer, selon les cas, à punir ou à haïr, et même parfois à juger. ». Il y aurait donc une sorte de renoncement dans le pardon qui serait, en somme, le prix à payer pour être enfin apaisé.
Pourquoi ne pas pardonner ?
Vous pensez que vous n’avez pas à pardonner et c’est votre droit. Comme vous, Cynthia Fleury, philosophe et psychanalyste, pense que le pardon n’est pas obligatoire, qu’il y a de l’impardonnable et qu’on peut très bien se reconstruire sans pardonner.
Parmi les raisons de ne pas pardonner :
Le pardon c’est, en quelque sorte « essuyer l’ardoise » et devenir ainsi complice du crime dont vous êtes la victime, on vous incite à pardonner parce que vous ennuyez tout le monde (même argument que précédemment), ne pas pardonner est une façon de résister et de ne pas (ou plus) montrer de faiblesse, c’est une façon d’évacuer le sentiment de culpabilité qui parfois vous habite, ne pas pardonner ce n’est pas conserver de la haine, votre agresseur pourrait se servir de votre pardon pour tenter de se disculper, en bien d’autres raisons encore.
Les arguments pour ou contre le pardon sont aussi nombreux d’un côté comme de l’autre. Tout ça pour ça, me direz-vous ? Oui, parce que, je veux d’abord, en écrivant ces lignes, vous montrer que le choix n’est pas facile et que ceux qui vous disent :c’est ça qu’il faut faire, feraient bien de réfléchir un peu avant de proférer des diktats.
Et la psychanalyse dans tout ça ?
Je ne vais pas vous faire la revue de tout ce qui a été dit en psychanalyse sur le sujet, mais tout simplement vous donner mon point de vue.
La psychanalyse n’est pas une église et elle n’a pas à préconiser le pardon ou son absence. Son rôle se limite, d’une part à éclairer sur l’intérêt et les inconvénients de chacun des choix, en toute impartialité, d’autre part d’accompagner son patient dans la voie qu’il a choisi.
Si le choix est le pardon il est nécessaire également d’inciter la personne à se méfier des recettes miracles qui vous promettent d’arriver au pardon en 4, 7 ou 10 étapes.
Si le choix est l’absence de pardon, il appartient aussi au psychanalyste d’accompagner ce choix.
Peut-être que ce choix binaire ne vous apporte pas satisfaction et vous aimeriez qu’on vous propose autre chose. Mais existe-t-il une autre voie ? Évidement, et elle existe depuis longtemps. C’est la résilience. Qu’est-ce que la résilience ? Je laisse le soin, en guise de conclusion, à celui qui l’a fait connaître en France, Boris Cyrulnik, de nous en proposer une définition: « La résilience n’est pas l’oubli ni le pardon, mais la capacité à reprendre un développement après une agonie psychique. ».
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